Votre encadreur local est une curieuse bête. Il aime les défis. Si certains pensent que le gros de notre métier consiste à encadrer des diplômes universitaires et des toiles données par votre tante à Noël… je ne mentirai pas il y a un peu de ça aussi. Mais quand une œuvre unique se présente, et qu’elle demande à être traitée avec tout le respect qu’on lui doit, c’est un défi intéressant à relever. Nous avions en magasin une aquarelle offerte par la tante d’un des conjoints (c’est un thème, il faut croire). C’était aussi un test parce qu’ils venaient de perdre leur encadreur, ce qui est presque aussi dramatique que d’avoir à changer de coiffeur/euse. L’aquarelle représente une esquisse d’un costume de ballet, le rôle de l’oiseau bleu dans la Belle au Bois Dormant de Tchaïkovsky. Selon la signature, il est fort probablement l’oeuvre d’André Levasseur, qui à travaillé pour la maison Christian Dior dans les années 40 et 50, pour ensuite se consacrer à la réalisation de costumes et de décors de théâtre. Celui-ci doit avoir été réalisé dans les années 50 ou 60. D’ailleurs, secret professionnel oblige, nous ne pouvons pas vous révéler tout de sa provenance, mais il n’est pas impossible de penser que cet opéra fut réalisé lors des célébrations du mariage du Prince de Monaco.
Le papier était, étant donné son age, en bon état, et même les quelques taches d’humidité agissaient comme témoins de son passé. Ce genre de détail n’est pas à cacher dans ce cas-ci, mais bien à souligner. Un passe-partout classique aurait caché la trame du papier, en plus d’aller à l’encontre du sujet (un oiseau symbolique devrait quand même resté libre, dans un encadrement léger). Nous nous sommes donc rapidement entendu sur le fait que l’œuvre serait exposée dans un boîtier soulevé, afin de souligner cette légèreté, la pureté du trait du dessin.
Les clients se demandaient d’ailleurs s’ils devaient faire un rappel des couleurs du dessin dans la moulure. La personne qui m’a tout appris en encadrement (merci, Caroline) me rappelle souvent que l’encadrement doit d’abord et avant tout se soucier du sujet, pour ensuite se marier au décor dans lequel il sera exposé, après tout. Ceci ne veut pas nécessairement dire que les couleurs doivent être coordonnées, tout comme les souliers et la sacoche, surtout dans ce cas-ci. Les choix de moulures dans les bleus et les verts sont assez restreints, et souvent très épurés ; des lignes simples et des bois teints ou couverts d’une laque simple. De surcroît, elles sont rarement assez grosses pour supporter le poids d’une vitre de cette taille.
Finalement, pour ne pas qu’il se sauve, nous avons donné une cage à l’oiseau, avec une moulure Zeppelin argentée. Les détails de la moulure donnent un look un peu steampunk, un peu science-fiction, ce qui joue sur le concept d’une cage qui nous permet de bien voir l’oiseau, impression qui est rehaussée avec un verre anti-reflet.